Jean, le 7 mai 2014
« Je suis né en 1944, dans le Midi, je suis méridional. Ma mère était d’origine gitane et mon père était un paysan. Malheureusement j’ai perdu mes parents très jeune, j’avais 14 ans quand mes parents sont décédés. Mon père était gravement malade, il avait une tuberculose des poumons. Il n’était jamais à la maison, il était toujours en sanatorium. Ça c’est les suites de la guerre. Et ma mère, elle a été tuée par un chauffard. Elle allait voir mon père au sanatorium, je l’ai accompagnée, j’ai failli mourir le jour même. Je l’ai accompagnée, elle était avec le solex et moi en vélo. Il y a un gars qui avait piqué une voiture, un militaire qui avait déserté. Comme il y avait un nouveau stop pour aller à la gare, les gendarmes étaient là pour le faire marquer, le gars a paniqué, il a foncé. Moi je suis parti dans le côté, il est passé à ça, mais ma mère il l’a fauchée, il l’a tuée sur le coup. Mon père est mort, le choc de la mort de ma mère vu son état de santé, six mois après.
Après j’ai commencé ma vie de bohème. J’ai travaillé dans les cirques de famille, je faisais du « main à main » (des portés en main à main, en équilibre), contorsion, tout ça, j’ai toujours été sportif. En 62 à Cannes avec une équipe du cirque, on faisait une démonstration dans un grand restaurant et je suis tombé sur un maitre de raja yoga indou qui était là avec sa femme et qui était en tournée en France. Il a vu mon spectacle, il est venu me voir, il m’a dit « Je te prends un an avec moi, je te forme, tu as tout pour réussir » Je l’ai regardé, je me suis dit « Il me prend pour un imbécile » Il me dit « Viens avec nous, tu travailles un an avec moi, tu n’as rien à payer, tu es logé, nourri et dans un an tu peux démarrer tout seul » Et c’est ce qui est arrivé. Mais l’apprentissage… 8 h par jour. Au bout d’un an j’avais déjà une grosse partie de mon spectacle qui était monté. Au bout de 6 mois déjà je commençais à travailler avec lui sur scène et je présentais déjà des numéros. Et au bout d’un an il m’a donné une somme d’argent et il m’a dit maintenant à toi de te débrouiller. Et j’ai démarré comme ça.
Mon plus gros numéro, je l’ai fait en 77, à la foire à Arcachon. Ça a été la première fois que je l’ai présenté. J’avais des bouteilles cassées, un grand tapis, je me couchais dessus, on mettait un plancher en bois qui faisait 1m80 sur 2m20 de long, et dessus on faisait monter une Renault 5 avec 4 personnes à l’intérieur et je la gardais 3 minutes. C’est le record du monde, c’est 1 570 kilos. Je l’ai présenté une vingtaine de fois le numéro de la voiture. J’ai fait 30 ans de spectacle. Je faisais des démonstrations de raja yoga (c’est le contrôle du corps humain par le mental), j’ai fait des spectacles dans toute la France, la Suisse, l’Allemagne, l’Espagne, la Belgique, je faisais beaucoup de discothèques, cabarets, j’ai fait du cirque aussi et puis j’ai fait des galas. Je faisais des numéros de dislocation c’est-à-dire je faisais ressortir les omoplates à l’équerre, disparition de l’abdomen; je faisais passer tous les organes de l’abdomen entre les poumons, il restait la peau et la colonne vertébrale.
Puis malheureusement j’ai eu une double hernie discale paralysante. Pendant 2 ans le chirurgien n’a pas voulu m’opérer Jusqu’au jour où le matin, j’ai voulu me lever, puis les jambes ne bougeaient plus. Y avait plus rien. Ils m’ont emmené d’urgence, ils m’ont dit « On va essayer de vous sauver » Malheureusement ils ont touché le nerf. Ça fait 18 ans que je suis en fauteuil roulant.
Tant que j’ai eu mon allocation adulte handicapé ça allait, je vivais bien, mais seulement le problème c’est quand on arrive à 60 ans, à l’âge de la retraite, on n’a plus l’allocation, on touche la retraite. Seulement quand on n’a pas travaillé pendant 18 ans, la retraite, c’est le plafond minimum. Ça fait 5 ans, 6 ans, je me bats, je me bats pour m’en sortir. Alors être au froid comme ça… L’été ça va, l’été c’est relax, mais l’hiver… Cet hiver ça a pu aller, mais l’hiver d avant… J’étais là à -8°. Les gens me disaient « Mais comment vous faites? » J’ai dit « C’est ça ou je meurs! Il faut bien que je mange » Mais c’est vrai que depuis un an, ça a complètement changé. Les gens sont indifférents. C’est vrai, ils passent, ils regardent. Indifférents. Les gens en sont arrivés qu’ils vivent pour eux-mêmes. Il y a des fois, il faut s’accrocher, il faut arriver à se motiver puis dire « On ne peut pas faire autrement, et puis voilà, c’est tout. Ce que pensent les gens… » En plus moi j’ai un principe; jamais vous ne me verrez aller vers les gens, les pousser à donner. Je suis là, il y a l’écriteau, ils font ce qu’ils veulent, ils veulent donner, ils veulent pas. Au moins qu’ils viennent dialoguer, discuter « Qu’est-ce qui vous arrive ? » Non, l’indifférence complète, pas un mot, rien. Si, on me regarde de la tête aux pieds puis hop. Le comportement des êtres humains entre eux c’est pire que les animaux. Les animaux ils s’entraident entre eux, les êtres humains non. A part des exceptions. Il y a des gens supers, des gens qui passent tout le temps ici, ils viennent toujours dire un mot, une petite pièce. Mais alors par contre le reste c’est une catastrophe. Il y en a qui arrivent, exprès ils me donnent des coups de pieds dans la gamelle. Il y en a un je me suis accroché: il me dit « C’est interdit de faire ce que vous faites » J’ai dit « Pardon ? Moi j’ai demandé à être handicapé? Je n’ai pas demandé. Ne pas avoir d’argent? Je n’ai pas demandé à ne pas avoir d’argent. Je te souhaite une chose mon grand, que ça ne t’arrive jamais, parce que là tu comprendras » Malheureusement ça peut arriver à tout le monde ça, je n’ai pas demandé à être handicapé moi, je ne serais pas handicapé, je serais encore en train de faire les spectacles. J’ai refait deux spectacles avec mon handicap. Mais je n’ai plus l’argent nécessaire pour le matériel et pour mon équipement, je n’ai plus rien depuis 18 ans maintenant que j’ai arrêté, j’ai plus rien. »