Andrée, le 4 février 2014
« Quand les allemands sont venus j’avais 19 ans. Et à l’âge de 18 ans je suis rentrée dans les PTT. Alors j’ai fait le téléphone, j’ai fait le télégraphe, j’ai fait la poste longtemps après mais enfin j’ai fait des tas de choses.
On était français. On était français, mais du jour au lendemain c’était l’administration allemande. Alors il a fallu s’adapter. Alors moi j’ai accompagné mon père à la mairie, mon père qui avait la trouille ! Eux ils voulaient savoir si les enfants parlaient allemand « Oui, j’ai dit, je parle allemand, je parle le patois mais enfin je comprends bien l’allemand. Mais écoutez, que je lui dis, je ne veux pas être allemande ! » Alors il m’a répondu : « Bleiben sie hier » (vous pouvez rester ici). Oh je l’entends encore ! Et puis mon père qui me regarde, alors je lui dis : « Oh ben tu sais, puisqu’il nous le dit, on risque tout » et puis on a bien fait, parce que mon père a gardé son travail, moi aussi, et puis les allemands ont été très très corrects avec nous, très corrects. Et justement après la guerre j’ai eu l’occasion de parler à des allemands : « Ecoutez, on n’envoyait pas n’importe qui là-bas, on voulait quand même amadouer les gens »… Chez mes parents est venu un médecin militaire. Alors le médecin militaire commençait à m’amadouer, et puis moi j’étais remontée contre eux, y avait rien à faire ! Je lui ai dit des choses horribles, il m’a dit « Ecoutez mademoiselle maintenant vous allez vous taire, parce que vous avez de la chance que c’est moi qui vous entends, parce que ça peut vous couter cher.» Qu’est-ce que vous voulez on avait la haine contre eux !
Les allemands arrivaient alors c’était sauve-qui-peut. Mon père arrive et puis mon père c’était un bonhomme nerveux qui criait facilement. Il y a le grand père qui était dans sa chambre, alors il vient à la cuisine puis il dit : « C’est vrai Etienne, que les allemands arrivent ? », « Oui, oui, ils arrivent ! », affolé. Ça c’était le matin à 10 heures. A midi, il ne venait pas manger à la cuisine, maman lui portait à manger dans sa chambre. Elle va chercher l’assiette à une heure, il était pendu après l’armoire. Il ne voulait pas être allemand.
Quand j’étais en stage à Sarrebruck, c’était un très grand bureau comme à Strasbourg, c’était pour apprendre les machines allemandes. Je vous assure qu’on gagnait de l’argent, ils nous donnaient des placements. Bon ça s’est bien passé, j’ai été deux mois, ils voulaient plus me lâcher. Et puis j’ai été voir mon chef à Sarrebourg, qui était un allemand, parce que tous les cadres étaient allemands, alors j’étais le voir, j’ai dit « Ecoutez je veux rentrer » alors il m’a dit « Pas de problème, vous ne repartez pas demain. » Vous voyez, ils ont été très très coulants avec nous. Heureusement ! Heureusement. C’étaient pas des nazis. Si, ils avaient la croix gammée parce que : Mon père était courrier convoyeur, il voyageait dans les trains. Alors il a retrouvé des collègues de la guerre de 14-18, il en a retrouvé surtout un. Mon père, qui n’avait pas sa langue dans la poche, il disait : « Oh toi, t’as la croix gammée, t’es un boche, t’es « ceci » t’es « cela »» Alors il lui a dit en douce « Quand on sera seuls je t’expliquerai » Parce que les allemands avaient peur ! Il lui a dit « Ecoute si je n’avais pas la croix gammée je n’aurais pas mon grade. » La liberté n’existait pas chez les allemands, donc ils les ont enrôlés dans les Waffen-SS. Et j’ai une fois lu un truc « Oh les alsaciens dans la Waffen-SS …» mais j’ai dit « Mais bon sang, s’ils n’acceptaient pas, on expulsait les familles, les parents ! » Chez nous, il y en a eu comme ça, parce qu’il y a eu des gens qui avaient des garçons qui se sont évadés pour ne pas aller dans l’armée allemande. Eh ben les parents en ont trinqué. D’ailleurs mon chef, lui, ils en avaient besoin pour le travail, eh bien c’est sa femme qui est partie en camp. Vous voyez on a vécu tout ça !
Et puis on écoutait les communications ! Oh la la, je suis rentrée à la maison j’étais énervée : la nuit où ils ont fait des recherches pour le général Giraud, qui était prisonnier des allemands. Comme j’écoutais les communications, j’ai su que le général Giraud s’était évadé. Alors il fallait que j’appelle toutes les gendarmeries du secteur pour signaler l’évasion du général Giraud. Je suis rentrée le matin, j’ai raconté à mes parents, j’ai dit : « Tu sais, j’ai pas donné la moitié des communications ! On disait « Mais ils répondent pas, mais ils répondent pas ! » »
Et mon père, il passait des lettres. Il mettait les lettres dans ses chaussures et puis par la campagne il partait. Il s’est fait arrêter plusieurs fois, mais ils n’ont jamais trouvé ses lettres. Il fallait correspondre, et puis c’était interdit ! Alors il passait des lettres clandestines. Quelque fois je me pose la question, je me dis : « Mais est-ce qu’on a vécu ça ? » Parce qu’on faisait ce qu’il fallait faire ! Et puis on avait quand même été habitués à la vie dure.
Je travaillais, le lendemain de Noël, le 26, je m’en rappellerai toute ma vie. Le bruit courrait que Hitler viendrait à Sarrebourg. Naturellement, moi j’ai dit : « Oh je vais aller le voir ! » Vous savez, quand on est jeune, on fonce. Quand je suis sortie du travail, on m’a dit « Il est encore à l’hôtel de ville. » J’y vais, et puis j’ai attendu comme tout le monde. J’étais gelée ! Il faisait froid ! Et puis quand je l’ai vu j’étais tellement énervée que j’ai eu chaud aux pieds ! Non parce que c’est un évènement. Pour nous, c’était le diable. C’était le diable.
Il y avait la ligne Paris-Strasbourg, vous savez ils faisaient du rase-motte et ils mitraillaient les trains, parce qu’à l’époque il y avait beaucoup de trains de munitions qui passaient. Oh j’avais peur. Et puis ils ont pas mal bombarde aussi. Ah là j’avais peur. Et puis on n’avait pas de cave, les gens allaient dans les caves. J’avais une cousine qui avait une cave, elle me dit : « Vous n’avez qu’à venir » mais c’était à l’autre bout du village. Alors chez nous quand ils étaient en train de mitrailler on se mettait entre deux pièces, il y avait un petit couloir qui allait à l’étable. Je sais que la maison à côté, le mur était tout troué.
Qu’est-ce qu’on était contents quand ils ont perdu la guerre. La paix a été signée le 8 mai 45. Et puis… Oh la la. Oh, quand elle s’est terminée ! Tout le monde dansait dans la rue, on dansait dans la rue ! Je sortais du travail, au lieu de rentrer, on dansait ! Il y avait toujours un accordéon quelque part et puis on dansait. Autant les gens mariés que nous ! Oh oui, qu’est-ce que vous voulez les gens étaient tellement contents. »