Jacqueline et Charles, le 17 février 2014
« (Jacqueline) Pendant la guerre j’avais 7-8 ans. Papa il était parti à la guerre. Maman et mon frère, nous on était à la maison. Ce qu’on avait c’était surtout faim. Quand je rentrais à 4 heures et que je disais à maman « Donne-moi une tartine » « J’ai pas de pain. J’ai fait cuire des pommes de terre, tu peux les tremper dans du sel. » C’était ça le gouter de 4 heures. Ce qu’a souffert maman pour nous dire ça! Y avait rien.
(Charles) Mon beau père était en Russie (Jacqueline) Il racontait qu’il mangeait des rats parce qu’ils n’avaient rien à manger. Quand ils trouvaient un rat, ils se faisaient le rat.
Maman m’a envoyée dans le jardin, et en revenant il y avait des bombes qui tombaient. Et moi avec mon tablier je l’ai mis sur la tête en voulant me protéger… Après sur le fait j’ai dit « mais qu’est-ce que t’as fait »
J’aime pas me rappeler de la guerre, parce que ça fait trop mal.
(Charles) Moi je vois encore les choses comme si c’était hier
En 1939 quand elle commençait la guerre, on a été évacués. C’était le 1er septembre, c’était un dimanche, j’avais à peine 9 ans. On nous a embarqués dans des wagons de bestiaux.
Vous avez déjà entendu parler de la Drôle de Guerre? 39-40 : Une maison était évacuée et l’autre non, ou un côté de la rue était évacué et l’autre n’était pas évacué. Alors ce qu’il y a eu c’est qu’il y a eu des cambriolages. Y avait un côté qui piquait chez l’autre côté parce qu’il n’y avait plus personne. Après la guerre il y en avait qui suspendaient des draps du voisin.
En 40 au mois d’août, on est rentrés. Il y avait le comité d’accueil qui nous jouait le Deutschland Uber Alles dans la gare de Strasbourg, la jeunesse hitlérienne allemande qui était là, et quelques alsaciens qui étaient de bons nazis qui étaient déjà là aussi, qui voulaient nous donner un coup de main pour rentrer avec nos affaires parce que le tramway ne marchait pas encore.
Et puis à partir de là, on est allés à l’école allemande, et j’ai ramassé des raclées presque tous les jours parce que je n’étais pas à la jeunesse hitlérienne. Il y avait des alsaciens qui nous vendaient, qui étaient dans la jeunesse hitlérienne et qui nous inscrivaient dans leur carnet pour le donner à l’instituteur, et l’instituteur il nous foutait des raclées pour nous punir parce qu’on n’y était pas. Parce que c’était obligatoire : ils vous faisaient signer une feuille que vous êtes volontaire pour aller dans la jeunesse hitlérienne, et quel gosse ne la signe pas! Il a déjà peur s’il a une bête devant lui comme l’instituteur qu’on avait, qu’il prenne une raclée quand il refuse ou que ses parents soient enfermés dans un camp… On savait bien qu’ils avaient des camps de concentration, comme le Struthof ou Schirmeck. Il y avait bien un frère de ma mère qui y était à Schirmeck. Et pourquoi? Il avait chanté la marseillaise quand il a passé le conseil de révision chez les allemands. Il était pendant 3 mois à Schirmeck et de là il est tout de suite parti en Russie dans l’armée allemande. On était forcés d’être allemand. Si on ne voulait pas, on vous tordait le cou.
On avait un instituteur allemand, un du SD, c’est-à-dire du Sicherheitsdienst; un flic en civil si vous voulez. Un nazi, un vieux. Ça lui est arrivé une fois de tabasser toute une classe de 45 élèves parce qu’on ne savait pas une chanson allemande. Il nous a tous tabassé. Il nous a fait sortir l’un après l’autre et puis alors il nous a tabassés, avec un bâton. Il nous a tapés dessus.
Voyez, on a vécu tout ça.
Le jour de la Libération je me rappelle encore, on est allés les recevoir sur la route de Brumath à Bischheim, les premiers qui sont arrivés. Sur les premiers chars qui venaient, il y avait des alsaciens dessus qui nous criaient « Descendez de la rue, Descendez de la rue, on n’est pas à la foire là, ça vous pouvez le faire dans 8 jours mais pas maintenant » Les gens qui habitaient là, ils leur indiquaient les endroits où il y avait encore des allemands, ou ils sortaient les allemands des caves : ils les avaient fait prisonniers eux-mêmes ou disons les allemands se sont laissés faire prisonniers parce que les gens leur ont dit « Si vous vous rendez ils vous feront pas de mal, posez vos armes et rendez-vous » Je me rappelle encore, il y avait un jeune un allemand, un rouquin, oh il faisait presque 2 mètres. Il avait peut-être 17-18 ans, il a pleuré! Un des militaires des troupes de Leclerc qui lui dit « Ne pleure pas, on te fera rien, on te fera pas de mal » et puis il lui a donné un bout de chocolat!
Mais les américains ne sont pas venus les premiers, c’était les troupes françaises. Les américains sont seulement venus quelques jours après, ils sont venus avec les grosses pièces, avec l’artillerie, et puis ils se sont installés et puis ils ont tiré à Kehl et partout dans les villages au bord du Rhin.
On craignait qu’ils reviennent les allemands. Heureusement qu’il y avait des inondations. La fonte des neiges. Ça a empêché les allemands de revenir. Et puis après les français ont envoyé des tirailleurs marocains sur la route du vin, à pied, avec les mulets. Je les ai vus partir et je les ai vus revenir. Avec des colliers avec des oreilles enfilées qu’ils avaient coupées aux allemands. Ceux qu’ils ont tués, ils leur coupaient les oreilles et puis ils les ramenaient et d’après ça ils étaient payés, ils avaient des primes. Mais une dizaine de jours après, il y avait les morts des marocains qui sont revenus, allongés, et gelés, entassés sur un camion. Il y avait bien une cinquantaine de marocains qui sont morts là-bas, pour la France.
Il y avait les américains qui sont venus et puis il y avait un gars qui savait l’anglais et qui leur a expliqué qu’ils étaient forcés d’être soldats allemands. Ils les ont mis dans des wagons de charbons, des wagons sans toit, en uniforme allemand pour les libérer. La légende a fait la ronde « Il y a un train avec des prisonniers allemands dedans » En haut des ponts, ils leur ont foutu des pavés et des briques sur la tête; les français, les hollandais, les belges. Ils croyaient que c’étaient des allemands. Seulement parce qu’ils les ont laissés dans ces sacrés uniformes, et qu’ils n’ont pas prévenu avant que c’étaient des français. Il y a même eu des morts.
Nous, on était dans les champs, on ramassait des épis pour nourrir les lapins, à Sermersheim. Puis j’avais mon cousin, ma cousine avec moi. A ce moment-là, j’avais peut-être 13 ans, lui il avait 8 ans, ma cousine elle avait 6 ans. Et on entend des avions. Et nous on s’est protégés dans un champ de tabac. Il y a des balles qui nous ont sifflé devant le nez, qui sont rentrées dans la terre, et puis il y avait des pieds de tabac qui se sont envolés, qui ont été déchiquetés par les balles. Et nous on était couchés là-dedans. Moi j’avais les 2 gamins l’un à droite, l’autre à gauche. Quand on s’est levés, quand on a vu cette locomotive, elle sifflait de tous les trous. Les trous des balles. La vapeur, elle ne sortait plus par la cheminée, elle sortait par les trous. Elle était transformée en passoire.
Et le lendemain, on a vu de Sermersheim comme ils bombardaient Strasbourg. Ils ont lâché des fumigènes, et puis alors ça a commencé. Que la terre a tremblé jusqu’à Sélestat. Vous vous rendez compte? Et le lendemain, on est rentrés, nous, ma tante et les 2 gamins, on est revenus chez mes parents, à Schiltigheim. Mes parents avaient eu une bombe derrière. Elle a pulvérisé deux camions. Un moteur était planté chez nous dans le 2ème étage, dans le grenier. Le 2ème moteur était sur les escaliers à l’entrée de la maison. Ils ont dévasté presque tout Strasbourg, les américains. Ils savaient bien qu’ils étaient sur le côté français. Oui, oui, ils ont arrangé la ville.
C’était le 8 mai 45, c’était l’armistice. On était sur l’arche du pont du canal à huit mètres de haut. On a sauté dans le canal.
(Jacqueline) Je me souviens très bien le jour où les français sont venus. Tous les copains, enfin tous les enfants du Roethig ont traversé le pont pour les accueillir. Je vois encore les soldats allemands qui ont été tués par les français qui étaient dans l’eau. C’est une image qui m’est restée aussi. Et puis on poursuivait les camions avec les soldats français pour avoir des chewing-gum ou du chocolat ou du pain blanc, comme on n’avait pas grand-chose on courrait après pour avoir ça. »