Marie, le 26 mars 2014
« Je suis née en 28. Mes parents avaient construit à Sarrebourg, en Moselle. Nous y sommes rentrés en 38, on y a habité deux ans: c’est en 40 que nous avons été expulsés. On a été obligés de partir et de tout laisser. Mes parents avaient droit à 50 kilos de bagages et 25 kilos les enfants : ma sœur et moi, 25 kilos, c’est tout. Et nous sommes partis sans savoir où nous allions. C’était la guerre alors… Nous n’avions rien. Mes parents avaient juste pris les bagages qui nous étaient autorisés, et puis nous nous sommes installés à Privas, dans l’Ardèche. Privas, c’est une préfecture, mais c’était rudimentaire encore à l’époque. On a atterri dans une maison où il y avait juste l’eau, il n’y avait pas de toilettes. Il y avait des toilettes dehors et pour plusieurs locataires. Nous sommes restés là-bas 6 ans, jusqu’à ce que nous puissions revenir en Lorraine. Jusqu’à ce que la guerre soit finie, et que les américains qui occupaient la maison soient partis. D’abord c’étaient les allemands, qui ont laissé la maison impeccable parait-il, d’après les personnes de Sarrebourg, mais les américains, c’était un désastre! Il a fallu tout refaire. Et la maison était neuve, elle avait deux ans.
Et là, à Privas, ça a été assez difficile. Nous n’avions rien. Pas de meubles. Le peu de vêtements que nous avions étaient dans des caisses. Insensiblement, ma foi, on s’y est fait. Qu’est-ce que vous voulez faire d’autre, on ne pouvait rien faire. J’ai vu Maman pleurer beaucoup de fois. Mais c’est comme ça. Mes parents étaient tristes. C’était triste. Très triste. Je me souviens des caisses, des vêtements pliés dans des valises parce qu’on avait rien pour les pendre. Puis nous n’étions pas tellement acceptés, nous venions de la Lorraine mais pour eux, c’était allemand. Alors ils ne savaient pas si nous étions des espions, enfin mes parents du moins. Non, nous avions été expulsés. Et partir sans rien c’est dur vous savez. C’était dur. Et à force, peut-être de nous voir vivre, on a été acceptés.
Nous avions trouvé du travail : mon papa avait trouvé du travail à la préfecture, il était taxi. Et moi-même j’étais dactylo, j’avais trouvé du travail. Et j’étais contente pour mes parents, ça aidait toujours un petit peu. Mais c’était difficile. On n’avait pas à manger. Enfin comme tout le monde quoi.
Une fois à Sarrebourg, j’ai continué à travailler. J’étais dans une étude notariale, Maître Douvier qu’il s’appelait, il était gentil tout plein mon patron. J’ai été demandée en même temps par deux personnes : un qui est devenu notaire, et l’autre, que j’ai épousé, qui était clerc de notaire. Je pense que j’ai eu peur. J’ai eu peur de la profession, parce que, être femme de notaire implique « recevoir », et je crois que ça m’a fait peur ça. C’était pas mon truc.
J’ai laissé mon travail quand j’ai attendu mes enfants. Et j’ai abandonné après, je n’ai plus continué, et je l’ai regretté. Parce que j’étais, sans me vanter, une bonne dactylo, et j’aurais pu continuer. Mais je voulais mon ménage, je voulais élever mes enfants…
Et j’avais une sœur, mais qui est plus jeune que moi, elle s’est mariée avec un jeune homme de Privas. Par après! Et elle est restée à Privas. Moi je n’y serais pas restée, mais enfin bon, il faut dire je n’ai pas trouvé l’amour là-bas, ça joue aussi ça. Non, elle est très heureuse, elle est bien… Oui c’est drôle la vie. C’est curieux. »